Dr
Grégory Piet
Politologue,
Directeur chez D&S Consultance
La
COP21 donne lieu à des prises de conscience fortes dans le chef des partis
politiques belges francophones. Tous soulignent aujourd’hui l’enjeu fondamental
que représente le changement climatique pour la planète et les générations
futures.
Pourtant,
derrière cette affirmation forte, se cachent inévitablement des interprétations
très différentes et des prises de positions très nuancées concernant l’enjeu
climatique. Comment dès lors séparer le caractère « fondamental » du
caractère « réaliste » associé à l’enjeu climatique dans les prises
de positions des partis politiques belges francophones ?
Afin
de répondre à cette question, nous nous appuierons sur la théorie de la
« compétition partisane sur enjeux » qui part du constat selon lequel
les partis se trouvent en compétition permanente dans laquelle ils tentent, d’une part, d’imposer
les enjeux qui les avantagent et, d’autre part, de défendre une vision
politique et un cadrage spécifique pour ces différents enjeux.
Nous
proposons donc de repartir des priorités politiques issues des programmes
électoraux de 2014 afin de démontrer que les acteurs politiques ne
« hiérarchisent » par nécessairement l’enjeu climatique de la même
manière lorsqu’ils se présentent face à l’électeur (voir Note méthodologique).
Les Verts et la « gauche
radicale » ambitionnent. La « gauche » et la
« droite » nuancent
Premièrement,
si nous relevons l’attention accordée à l’enjeu climatique dans les programmes
électoraux de 2014 (Graphe 1), nous constatons que deux partis se détachent
clairement des autres : le PTB-go ! (0,82%) et Ecolo (0,79%). Ils
sont suivis par le PS (0,41%), le cdH (0,36%), le MR (0,25%), les FDF/Défi
(0,10%) et le PP (0,09%).
Deuxièmement,
si nous analysons où se situe l’enjeu climatique (Graphe 2) par rapport aux 261
autres enjeux de politique publique de notre grille d’analyse (voir Note
méthodologique), nous constatons qu’il ne s'inscrit chez aucun parti francophone dans les premiers 50% des priorités politiques. L'enjeu climatique se place, en effet, dans les derniers 40% des priorités
politiques chez Ecolo (38e priorité) ainsi que dans les derniers 30% des priorités du PTB-go! (35e
priorité). L’enjeu climatique régresse encore dans les derniers 20% des priorités du PS (64e
priorité), du cdH (71e priorité) et du MR (99e
priorité) tandis que l'enjeu climatique est quasiment inexistant chez les FDF/Défi (133e priorité) et le PP (159e priorité) s'inscrivant dans les derniers 10% de leurs priorités respectives. On ne peut donc pas considérer que l'enjeu donne le ton dans les programmes électoraux francophones, mais les différences dans la hiérarchie des priorités restent importantes entre Ecolo et les autres partis francophones.
Troisièmement,
les partis politiques francophones belges n’usent pas nécessairement de la même
stratégie face à l’enjeu climatique car il peut ne pas servir leur propre
intérêt électoral (Graphe 3). Le MR, le PP et les FDF/Défi, par exemple, ont
principalement une stratégie d’évitement
par rapport à l’enjeu climatique. Ils n’y portent pas une forte attention et ne
s’engagent pas véritablement dans un soutien fort le concernant. Le PP est d’ailleurs
clairement contre l’enjeu climatique et se présente directement comme climatosceptique
et défavorable à toute politique climatique (plus la position d’un parti est à gauche
sur le Graphe 3, plus l’orientation est défavorable). Le cdH et le PS ont,
quant à eux, davantage une stratégie de reprise.
Ils reprennent la thématique sans nécessairement la mettre en avant dans
l’orientation politique générale de leur programme et de leur stratégie de
campagne. Enfin, Ecolo et le PTB-go ! recourent à une stratégie d’accentuation sélective de l’enjeu climatique en la mettant au cœur des enjeux
prioritaires de leur campagne et en lui donnant une orientation très favorable.
Nous constatons d’ailleurs qu’Ecolo est beaucoup plus ambitieux que le
PTB-go ! en matière climatique (plus la position d’un parti est à droite
sur le Graphe 3, plus elle est favorable à l’enjeu). Dans une moindre mesure, c’est
également le cas du cdH qui se montre le plus favorable à l’enjeu climatique
sans pour autant lui accorder une attention politique significative.
Enfin,
un point de convergence fort est identifié sur la politique internationale entre
la majorité des partis. Les quatre grands partis (MR, PS, cdH, Ecolo) défendent
en effet un accord contraignant à l’issue de la COP21.
Note méthodologique
Les
programmes électoraux sont des documents volumineux qui énoncent les priorités
politiques des partis que nous proposons de classer suivant une grille
d’analyse reprenant quelques 261 enjeux allant de la politique fiscale à
l’enjeu climatique, en passant par l’enjeu environnemental, l’asile et
l’immigration, la sécurité, le terrorisme, etc.
Cette analyse s’appuie sur le logiciel Prospéro (Chateauraynaud,
2003 ; voir, par exemple, le carnet de recherche du GSPR, développeur de
Prospéro, http://socioargu.hypotheses.org/ ainsi
que le site dédié au logiciel Prospéro http://prosperologie.org/).
Cette méthode consiste en la création de 270 répertoires thématiques reprenant
l’ensemble des enjeux et politiques publiques identifiables au sein des
programmes, sur base du travail préalablement effectué par Baumgartner et Jones (http://www.policyagendas.org/page/topic-codebook).
Ces 261 répertoires sont constitués sur base de près de 18.000 mots et
expressions permettant d’identifier et de coder automatiquement les parties
d’un texte liées à l’emploi, au logement, à la mobilité, à l’économie, à la
politique étrangère, etc. A ce titre, cet encodage automatique permet de
mesurer les préférences et les priorités des acteurs politiques au sein de
différents types de textes et de discours.
Pour mesurer l’« orientation politique », l’analyse
des programmes électoraux s’appuie sur une analyse des discours et arguments
des partis politiques. Sur une échelle syntaxique et informationnelle allant de
-2 (« contre », « refus », « dénégation ») à +2
(« pour », « favorable », « priorité
politique »), nous attribuons une valeur à chaque énoncé reprenant le
thème politique analysé (en l’occurrence l’enjeu climatique pour ce billet).
Pour
aller plus loin sur la méthode :
Piet,
G., Dandoy, R., Jeroen, J., « Comprendre le contenu des programmes
électoraux : comparaison des méthodes d’encodage automatique et
manuel », Mots. Les langages du politique, 108, juillet 2015.
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