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mardi 1 décembre 2015

COP21 : les partis politiques belges francophones face à la priorité climatique


Dr Grégory Piet
Politologue, Directeur chez D&S Consultance

La COP21 donne lieu à des prises de conscience fortes dans le chef des partis politiques belges francophones. Tous soulignent aujourd’hui l’enjeu fondamental que représente le changement climatique pour la planète et les générations futures.

Pourtant, derrière cette affirmation forte, se cachent inévitablement des interprétations très différentes et des prises de positions très nuancées concernant l’enjeu climatique. Comment dès lors séparer le caractère « fondamental » du caractère « réaliste » associé à l’enjeu climatique dans les prises de positions des partis politiques belges francophones ?

Afin de répondre à cette question, nous nous appuierons sur la théorie de la « compétition partisane sur enjeux » qui part du constat selon lequel les partis se trouvent en compétition permanente dans laquelle ils tentent, d’une part, d’imposer les enjeux qui les avantagent et, d’autre part, de défendre une vision politique et un cadrage spécifique pour ces différents enjeux.

Nous proposons donc de repartir des priorités politiques issues des programmes électoraux de 2014 afin de démontrer que les acteurs politiques ne « hiérarchisent » par nécessairement l’enjeu climatique de la même manière lorsqu’ils se présentent face à l’électeur (voir Note méthodologique).

Les Verts et la « gauche radicale » ambitionnent. La « gauche » et la « droite » nuancent

Premièrement, si nous relevons l’attention accordée à l’enjeu climatique dans les programmes électoraux de 2014 (Graphe 1), nous constatons que deux partis se détachent clairement des autres : le PTB-go ! (0,82%) et Ecolo (0,79%). Ils sont suivis par le PS (0,41%), le cdH (0,36%), le MR (0,25%), les FDF/Défi (0,10%) et le PP (0,09%).




Deuxièmement, si nous analysons où se situe l’enjeu climatique (Graphe 2) par rapport aux 261 autres enjeux de politique publique de notre grille d’analyse (voir Note méthodologique), nous constatons qu’il ne s'inscrit chez aucun parti francophone dans les premiers 50% des priorités politiques. L'enjeu climatique se place, en effet, dans les derniers 40% des priorités politiques chez Ecolo (38e priorité) ainsi que dans les derniers 30% des priorités du PTB-go! (35e priorité). L’enjeu climatique régresse encore dans les derniers 20% des priorités du PS (64e priorité), du cdH (71e priorité) et du MR (99e priorité) tandis que l'enjeu climatique est quasiment inexistant chez les FDF/Défi (133e priorité) et le PP (159e priorité) s'inscrivant dans les derniers 10% de leurs priorités respectives. On ne peut donc pas considérer que l'enjeu donne le ton dans les programmes électoraux francophones, mais les différences dans la hiérarchie des priorités restent importantes entre Ecolo et les autres partis francophones.




Troisièmement, les partis politiques francophones belges n’usent pas nécessairement de la même stratégie face à l’enjeu climatique car il peut ne pas servir leur propre intérêt électoral (Graphe 3). Le MR, le PP et les FDF/Défi, par exemple, ont principalement une stratégie d’évitement par rapport à l’enjeu climatique. Ils n’y portent pas une forte attention et ne s’engagent pas véritablement dans un soutien fort le concernant. Le PP est d’ailleurs clairement contre l’enjeu climatique et se présente directement comme climatosceptique et défavorable à toute politique climatique (plus la position d’un parti est à gauche sur le Graphe 3, plus l’orientation est défavorable). Le cdH et le PS ont, quant à eux, davantage une stratégie de reprise. Ils reprennent la thématique sans nécessairement la mettre en avant dans l’orientation politique générale de leur programme et de leur stratégie de campagne. Enfin, Ecolo et le PTB-go ! recourent à une stratégie d’accentuation sélective de l’enjeu climatique en la mettant au cœur des enjeux prioritaires de leur campagne et en lui donnant une orientation très favorable. Nous constatons d’ailleurs qu’Ecolo est beaucoup plus ambitieux que le PTB-go ! en matière climatique (plus la position d’un parti est à droite sur le Graphe 3, plus elle est favorable à l’enjeu). Dans une moindre mesure, c’est également le cas du cdH qui se montre le plus favorable à l’enjeu climatique sans pour autant lui accorder une attention politique significative.



Enfin, un point de convergence fort est identifié sur la politique internationale entre la majorité des partis. Les quatre grands partis (MR, PS, cdH, Ecolo) défendent en effet un accord contraignant à l’issue de la COP21.






Note méthodologique

Les programmes électoraux sont des documents volumineux qui énoncent les priorités politiques des partis que nous proposons de classer suivant une grille d’analyse reprenant quelques 261 enjeux allant de la politique fiscale à l’enjeu climatique, en passant par l’enjeu environnemental, l’asile et l’immigration, la sécurité, le terrorisme, etc.

Cette analyse s’appuie sur le logiciel Prospéro (Chateauraynaud, 2003 ; voir, par exemple, le carnet de recherche du GSPR, développeur de Prospéro, http://socioargu.hypotheses.org/ ainsi que le site dédié au logiciel Prospéro http://prosperologie.org/). Cette méthode consiste en la création de 270 répertoires thématiques reprenant l’ensemble des enjeux et politiques publiques identifiables au sein des programmes, sur base du travail préalablement effectué par Baumgartner et Jones (http://www.policyagendas.org/page/topic-codebook). Ces 261 répertoires sont constitués sur base de près de 18.000 mots et expressions permettant d’identifier et de coder automatiquement les parties d’un texte liées à l’emploi, au logement, à la mobilité, à l’économie, à la politique étrangère, etc. A ce titre, cet encodage automatique permet de mesurer les préférences et les priorités des acteurs politiques au sein de différents types de textes et de discours.

Pour mesurer l’« orientation politique », l’analyse des programmes électoraux s’appuie sur une analyse des discours et arguments des partis politiques. Sur une échelle syntaxique et informationnelle allant de -2 (« contre », « refus », « dénégation ») à +2 (« pour », « favorable », « priorité politique »), nous attribuons une valeur à chaque énoncé reprenant le thème politique analysé (en l’occurrence l’enjeu climatique pour ce billet).

Pour aller plus loin sur la méthode :

Piet, G., Dandoy, R., Jeroen, J., « Comprendre le contenu des programmes électoraux : comparaison des méthodes d’encodage automatique et manuel », Mots. Les langages du politique, 108, juillet 2015.


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