Gregory Piet
Politologue, Université de Liège
Régis Dandoy
Politologue, FLACSO, Université Libre de Bruxelles,
Université catholique de Louvain
Historiquement
d’influence maoïste du début des années 1960, né du mouvement « Alle macht
aan de arbeiders » (AMADA) initié en 1970 à la KUL et du « Tout le
pouvoir aux ouvriers » (TPO) pour sa branche francophone, ce mouvement
devient le parti du travail de Belgique (PTB) en 1979. Il était possible à
l’époque de classer le PTB comme parti ouvrier communiste, mais il convient toutefois
d’en distinguer les origines. Daniel-Louis Seiler (1986, p. 142) distingue, en
effet, deux groupes de partis : (1) les communistes orthodoxes dont deux
branches se dégagent les prosoviétiques et les eurocommunistes et (2) l’extrême-gauche,
également constituée de deux branches, la IVe internationale et les maoïstes.
Le PTB (se présentant en Flandre sous l’étiquette PVDA – Partij van de Arbeid
van België) s’inscrit dans la mouvance des partis d’extrême-gauche et
appartient donc à la branche maoïste.
Pascal
Delwit et Giulia Sandri mettent en évidence un changement « radical »
dans le chef de ce parti suite à son 8e congrès en 2008 pour lui
attribuer une posture « radicale-populiste » (Delwit, Sandri, 2011,
p.286). La stratégie communicationnelle est également entièrement revue par le
PTB. Il s’agit de se réconcilier avec les organisations syndicales, de séduire
citoyens et travailleurs, de s’ouvrir aux médias, d’investir les nouveaux moyens
de communications (réseaux sociaux, etc.) et, enfin, de rompre avec la
dépersonnalisation de l’« ancien » PTB. Le parti veut, en effet,
aujourd’hui jouer sur des personnalités reconnaissables et s’appuyer sur ses
porte-paroles. Jean Faniel rejoint le constat précédent d’un parti qui a évolué
et parle, quant à lui, d’un parti assimilable à la « gauche
radicale » (RTBF, http://www.rtbf.be/radio/player/lapremiere/podcasts?c=LP-MAP-CONNEX&e=4986).
Comme
pour les précédents billets réalisés dans le cadre de ce blog, nous basons
notre analyse sur les catégories de politiques publiques suivies au sein des
programmes électoraux des partis politiques et constituées grâce au logiciel
Prospéro (voir Note méthodologique).
Pour
les élections de mai 2014, le PTB se présente sur l’étiquette PTB-go! (Parti du
Travail de Belgique – Gauche d’Ouverture !) et regroupe non seulement des
candidats issus du PTB, mais également des personnalités indépendantes, des
militants syndicaux et associatifs ainsi que des candidats issus du PC (Parti
Communiste) et de la LCR (Ligue Communiste Révolutionnaire).
Nous
aborderons deux questions dans ce billet. La première sera de savoir quelles
sont les priorités électorales du PTB-go! en vue des prochaines élections
fédérales, régionales et européennes de mai prochain. La seconde question
concerne l’évolution ou la stabilité des priorités du PTB-go! en comparaison de
son programme électoral fédéral de juin 2010 sous l’étiquette PTB+.
Les
priorités politiques du PTB-go! : analyse de leur programme électoral 2014
« Notre avenir est social »
En
matière de priorités politiques, le PTB-go! met, sans surprise, l’accent sur
l’emploi, le travail et les travailleurs. Près de 17% de leur programme
électoral 2014 est consacré à la politique de l’emploi (voir tableau). Nous y
retrouvons diverses propositions comme :
-
« Les
jeunes au boulot, les plus âgés au repos ».
-
« Un
emploi “adapté” doit être un emploi qui a trait à ce que la personne a étudié,
un emploi à temps plein, pour une durée minimale d’un an et payé au moins au
niveau du salaire minimal ».
-
« le
droit à la prépension à 58 ans ».
Largement
associée à cette première priorité, la politique économique et fiscale est la
deuxième priorité du PTB-go!. Elle représente plus de 14% du programme du PTB
(voir tableau). Nous y retrouvons notamment :
-
une volonté d’imposer les « riches » :
« La taxe des millionnaires
assurerait au moins 8 milliards d’euros de recettes ».
-
« Il est temps qu'une multinationale paie
plus d'impôts qu'une femme de ménage ».
-
« Qu'on mette un terme aux privatisations
dans les services publics ».
Les
débats institutionnels sont également présents dans le programme du PTB-go!
puisque nous le retrouvons en troisième place avec 13% d’attention politique à
ces questions (voir tableau). Nous pouvons notamment y lire un débat sur la re-fédéralisation
et sur la sixième réforme de l’État :
-
une volonté de re-fédéraliser
l’enseignement : « La communautarisation de l'enseignement a provoqué
un fossé entre l'enseignement néerlandophone et l'enseignement francophone,
aussi bien en ce qui concerne les moyens qu'en matière de qualité
d'enseignement ».
-
« La
sixième réforme de l’État est une arme qui permet une application plus stricte
des directives antisociales de l’Europe, en mettant en concurrence les régions,
en imposant de nouvelles compétences à caractère néo-libéral, en scindant et en
affaiblissant les syndicats, les relations sociales et la société
civile ».
-
Etablir une
« circonscription électorale fédérale, en plus des districts électoraux
provinciaux ».
-
« Les
domaines où la régionalisation s’est avérée inefficace doivent être à nouveau
fédéralisés : les transports, le logement, l’infrastructure routière, la
recherche scientifique… Nous voulons des compétences homogènes pour ces
domaines, au niveau central… ».
Les
affaires sociales et la politique liée aux entreprises et au secteur bancaire
sont, respectivement, les 4e (9,28%) et 5e priorités (8,51%)
du programme du PTB-go!. Il y a notamment un long volet sur le contrôle du
secteur bancaire :
-
« instauration dune taxe spéciale sur les
bénéfices des banques » ;
-
« nous voulons reconstruire une véritable
banque publique ».
-
« Qu'on mette un terme aux privatisations
dans les services publics ».
-
Et au niveau des affaires sociales : « Augmenter tous les revenus de
remplacement jusqu’au-dessus du seuil de pauvreté ».
Ces
cinq premières priorités représentent à elles-seules 62% de l’attention
politique du PTB-go! dans le cadre des prochaines élections 2014. Pour les 40%
restants, nous retrouvons en 6e priorité les débats européens et
internationaux. L’enseignement arrive en 7e priorité (5,16%) et la
santé est la 8e priorité (5,12%), suivie des questions liées aux
droits et libertés des citoyens (5%). Malgré la touche verte que se donne le
PTB-go! (voir Le « Socialisme 2.0 » que le PTB-go! propose « aux
dimensions de l’homme et de la nature », http://ptb.be/vision/socialisme), il
convient toutefois de nuancer l’attention politique que ce parti accorde aux
politiques environnementales (climatiques incluses) et énergétiques puisque ces
priorités sont respectivement 13e et 11e sur les 21
priorités générales qui nous identifions.
Comparaison
des programmes électoraux du PTB+ 2010 et PTB-go! 2014
Malgré
un changement de stratégie (alliance en 2014 avec des candidats indépendants et
issus du PC et de la LCR) et un environnement électoral différent (les
élections de 2010 ne concernaient que le niveau fédéral tandis que celles de
2014 concernent tant le fédéral que le régional, le communautaire et l’européen),
nous constatons que le PTB-go! a très peu modifié ses priorités et ses
attentions politiques entre ses deux programmes électoraux de 2010 et 2014
(voir tableau). La corrélation entre eux est significativement très élevée
(.95). Autrement dit, dans 90% des cas, les priorités identifiées en 2010 sont
similaires à celles de 2014.
Cette forte corrélation entre les priorités du PTB+ définies lors des élections fédérales de 2010 et les priorités du PTB-go! définies lors des élections fédérales de 2014 est surprenante à plus d'un titre. Le premier repose sur l'alliance en 2014 avec des candidats issus du PC et de la LCR. Ces derniers n'ont visiblement pas influencé la ligne du PTB-go! par rapport à celles du PTB+ de 2010. Le deuxième élément - et certainement le plus interpellant - est la différence de méthode entre la rédaction du programme électoral fédéral 2010 et 2014. En effet, le PTB-go! présentait en février et mars 2014 une grande enquête réalisée auprès de plus de 40.000 personnes qui aurait permis de mettre en exergue de nouvelles priorités politiques dans le programme électoral de 2014, selon Raoul Hedebouw (porte-parole du PTB). Comme le soulignait ce dernier dans le quotidien la Dernière Heure: cette ouverture et cette enquête ont "permis de hiérarchiser les thématiques abordées, car il s'agit bien d'une enquête d'un parti". Et de poursuivre: "Le PTB a décidé d'utiliser l'enquête, ce sera donc un axe majeur de notre campagne, ce qui n'était pas forcément le cas en 2010. L'emploi, la santé et le climat sont d'autres thématiques retenues" (DH, 11 mars, La pauvreté inquiète, http://www.dhnet.be/regions/liege/la-pauvrete-inquiete-531df099357024dca857cafc). Or, notre analyse montre clairement que les priorités politiques du PTB+ vers le PTB-go! n'ont pas changé entre 2010 et 2014, et ce, malgré cette grande enquête présentée comme la source du nouveau programme électoral 2014.
Cette forte corrélation entre les priorités du PTB+ définies lors des élections fédérales de 2010 et les priorités du PTB-go! définies lors des élections fédérales de 2014 est surprenante à plus d'un titre. Le premier repose sur l'alliance en 2014 avec des candidats issus du PC et de la LCR. Ces derniers n'ont visiblement pas influencé la ligne du PTB-go! par rapport à celles du PTB+ de 2010. Le deuxième élément - et certainement le plus interpellant - est la différence de méthode entre la rédaction du programme électoral fédéral 2010 et 2014. En effet, le PTB-go! présentait en février et mars 2014 une grande enquête réalisée auprès de plus de 40.000 personnes qui aurait permis de mettre en exergue de nouvelles priorités politiques dans le programme électoral de 2014, selon Raoul Hedebouw (porte-parole du PTB). Comme le soulignait ce dernier dans le quotidien la Dernière Heure: cette ouverture et cette enquête ont "permis de hiérarchiser les thématiques abordées, car il s'agit bien d'une enquête d'un parti". Et de poursuivre: "Le PTB a décidé d'utiliser l'enquête, ce sera donc un axe majeur de notre campagne, ce qui n'était pas forcément le cas en 2010. L'emploi, la santé et le climat sont d'autres thématiques retenues" (DH, 11 mars, La pauvreté inquiète, http://www.dhnet.be/regions/liege/la-pauvrete-inquiete-531df099357024dca857cafc). Or, notre analyse montre clairement que les priorités politiques du PTB+ vers le PTB-go! n'ont pas changé entre 2010 et 2014, et ce, malgré cette grande enquête présentée comme la source du nouveau programme électoral 2014.
Il y
a toutefois une concentration plus forte de l’attention politique autour de
quelques priorités en 2014 par rapport à 2010. En effet, si en 2010, le parti
concentrait 64% de son attention politique autour de 6 priorités politiques
(économie, emploi, politique étrangère et européenne, questions
institutionnelles, secteur bancaire et entrepreneurial et affaires sociales), en
2014, elles se réduisent à 5 priorités (62% autour de l’emploi, l’économie, les
questions institutionnelles, les affaires sociales et le secteur bancaire et
entrepreneurial).
Les
deux premières priorités restent donc l’emploi et la politique économique et
fiscale. Paradoxalement, l’attention européenne était toutefois plus importante
en 2010 qu’en 2014 (passant de 11% à 8%) alors que, au contraire de 2010, les
élections de 2014 concernent également le renouvellement des représentants
belges au parlement européen. À l’inverse, les questions institutionnelles passent
de 9,4% à 13% –probablement la conséquence du contexte communautaire et de la
crise politique qui a suivi les élections de 2010, ainsi que la mise en place
d’une sixième réforme de l’État. Il s’agit là des deux plus importantes
modifications dans l’attention politique du PTB entre ces deux élections.
Enfin,
en dehors de ces deux priorités, la politique de mobilité est certainement la dernière
priorité politique qui diffère encore entre le programme de 2010 et de 2014. Elle
était, en effet, la 7e priorité en 2010 contre la 10e priorité
en 2014 et passe de 5% à 3,3%. Pour l’ensemble des autres priorités, soit elles
respectent la même hiérarchie, soit elles oscillent à une ou deux places d’intervalle.
PTB+ 2010
|
PTB-go! 2014
|
|
Economie et politique
fiscale
|
14,88%
|
14,50%
|
Droits et libertés
|
3,54%
|
5,01%
|
Santé
|
4,11%
|
5,12%
|
Agriculture et pêche
|
1,13%
|
0,25%
|
Emploi
|
14,27%
|
16,56%
|
Enseignement
|
4,63%
|
5,16%
|
Environnement
|
2,03%
|
1,75%
|
Politique énergétique
|
3,12%
|
2,75%
|
Immigration
|
1,42%
|
0,90%
|
Mobilité
|
4,96%
|
3,27%
|
Justice
|
1,89%
|
1,66%
|
Affaires sociales
|
6,14%
|
9,28%
|
Logement et développement
local
|
3,40%
|
1,81%
|
Entreprise et secteur
bancaire
|
8,60%
|
8,51%
|
Défense
|
1,09%
|
0,46%
|
Recherche scientifique
|
1,32%
|
0,54%
|
Commerce extérieur
|
1,51%
|
0,92%
|
Politique étrangère et
européenne
|
11,01%
|
7,99%
|
Questions
institutionnelles et administratives
|
9,40%
|
13,03%
|
Aménagement du territoire
|
0,09%
|
0,06%
|
Culture et loisirs
|
1,46%
|
0,46%
|
Note méthodologique
Cette analyse
des programmes électoraux repose sur un logiciel d’analyse de textes, de
discours et d’arguments, nommé Prospéro (Chateauraynaud, 2003 ; voir, par
exemple, le carnet de recherche du GSPR, développeur de Prospéro, http://socioargu.hypotheses.org/ ainsi
que le site dédié au logiciel Prospéro pour une plus longue présentation, http://prosperologie.org/). Pour faire
simple, la méthode consiste en la création de 21 répertoires thématiques
reprenant l’ensemble des enjeux et politiques publiques identifiables au sein
des programmes, sur base du travail préalablement effectué par Baumgartner et
Jones (http://www.policyagendas.org/page/topic-codebook) et adapté
au cas belge par Stefaan Walgrave et son centre de recherches (M2P,
Universiteit Antwerpen). Ces 21 répertoires sont constitués de quelques 16.500 mots et
expressions permettant d’identifier et de coder automatiquement les parties
d’un texte liées à l’emploi, au logement, à la mobilité, à l’économie, à la
politique étrangère, etc. Cet encodage automatique permet ainsi de mesurer les
préférences et les priorités des partis politiques au sein de leur programme
électoral. Pour une analyse en profondeur d’un enjeu politique et une
explication détaillée de la manière de constituer les répertoires de mots et
d’expression, voir Piet (2013).
Pour aller plus loin
Chateauraynayd
Francis, Prospéro. Une technologie littéraire pour les sciences humaines, Paris, CNRS
Editions, 2003.
Delwit Pascal, Sandri Giulia, « La
gauche de la gauche », in Delwit, Pascal, Pilet, Jean-Benoît, Van Haute, Emilie,
Les partis politiques en Belgique, coll. « Science
politique », Editions de l’Université de Bruxelles, 2011.
Piet Gregory,
« Attention politique et processus de priorisation du débat
climatique en Belgique depuis la fin des années 1980 », Conférence UCL –
Formation Carbone, 25 octobre 2013 (2013b).
Piet Gregory,
« La politique climatique en Belgique », Carnet de Recherche
Socio-informatique et argumentation, avril 2013b.
Seiler
Daniel-Louis, De la comparaison des
partis politiques, Economica, Paris, 1986.
L'égalité hommes/femmes ou les questions de genre, qui sont présentes dans le programme du PTB (comme dans d'autres), ne figurent pas dans ce classement. Est-ce dû à leur place dans les programmes ou au logiciel Prospéro lui-même ?
RépondreSupprimerC'est une excellente remarque. Toutes les questions de genre et d'égalité hommes/femmes sont toutes comptabilisées comme sous-catégories de la politique liée aux droits et libertés. Prospéro les gère sans souci. Il est vrai que je ne l'ai pas relevé car cela ne sortait pas particulièrement des priorités du programme, mais c'est bien présent.
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